Paul et Vanessa . Chapitre XVIII. Dénouement.
Six mois sont passés depuis le départ de Paul à la Réunion sans qu'il donne la moindre nouvelle.
Jusqu'à ce mail inattendu et brutal:
"Sylvie, je souhaite rentrer à Gérardmer.
Acceptes-tu mon retour au domicile conjugal?
Paul."
Sylvie, bien que profondement troublée, bouleversée par la violence de ce message,
lui répond sur le champ mais de façon tout aussi lapidaire:
"La porte est grand ouverte, Paul, je viendrai te chercher à l'aéroport"
-Vendredi quatre mai, vingt heures, AFR 472.
La réponse, quelques jours plus tard, fut télégraphique.
Sylvie arriva à Orly trois heures avant l'arrivée prévue du vol,
craignant que l'avion soit en avance sur l'horaire.
A la vue de son époux entrant dans le hall après le contrôle de police,
Sylvie chancela brutalement sur ses jambes :
Amaigri, vieilli, les yeux sombres, Paul était méconnaissable.
Sylvie, ne put s'empêcher d'éclater en sanglots en le serrant dans ses bras.
"Le vol fut fatigant, lapin ?
-Non, pas le vol.
-Tu me raconteras ?
-Peut-être.
Retour à Gérardmer. Paul a dormi comme une masse pendant dix heures .
A son réveil, Sylvie, aux petits soins, lui murmure à l'oreille :
"Café au lait, fromage de chèvre, brimbelles ?
Un léger sourire se dessine sur le visage émacié de Paul.
Il se jette sur le petit-déjeuner et vide goulument le pot de myrtilles.
Sylvie est rassérénée .
"Pour midi, j'ai prévu un pique-nique au bord du lac,
dis-moi si cela te convient.
-D'accord, mais à l'ombre, s'il te plaît .
-Oui, bien...bien-sûr, bafouille Syvie,
décontenancée par la réponse saugrenue de Paul.
Une semaine passe sans que Sylvie ose poser une seule question sur le sujet tabou.
Elle sait, par experience, qu'il lui faudra être patiente et habile
pour arracher à son époux la moindre confidence sur son séjour chez Virginie.
Physiquement, Paul va mieux. Sylvie estime que l'omerta a assez duré.
"Parle-moi, Paul.
-De la chaleur tropicale ?
-Oui, c'est cela.
-Je la supportais assez mal lorsque j'avais trente ans, tu le sais bien,
je t'en ai suffisamment parlé. A près de soixante dix ans, ce fut l'enfer.
-A Saint-Gilles les Hauts, l'altitude rend la chaleur plus supportable, non ?
-Tu souhaites que je te parle de la chaleur tropicale ou de Virginie ?
-De Virginie, Paul.
-L'été tropical, c'est chaud et humide, Virginie,
c'est le contraire, froide et sèche.
C'est tout ce que je te dirai pour aujourd'hui, laisse-moi retrouver un peu de santé mentale, s'il te plaît.
Dès le lendemain, Sylvie reprend son enquête.
"Tu as meilleure mine, Paul, je vais à nouveau, si tu le permets,
t'interroger sur ta fugue chez Virginie.
-Ma fugue? Ta mémoire est complètement défaillante, Sylvie :
Je n'ai pas du tout fui, c'est toi qui m'a ordonné de partir,
c'est toi qui m'a chassé, c'est toi qui m'a rejeté !
Je me souviens mot pour mot de ton ultimatum et tu m'obliges à te le rappeler :
"L’amour sans sexe, c’est l’enfer ! Cela conduit à la démence.
Je ne souhaite pas vivre ma retraite avec un fou. Je préfère vieillir seule.
Pars avec elle dans son île et surtout ne te retourne pas !
Virginie n'était pas une jeune fille perverse comme tu l'avais imaginé,
tu le sais maintenant. Tu avais trente ans, elle quinze,
mais c'est toi qui fus faible et pleutre, pas elle.
Le vide, le vertige, la hantise du danger mortel s'emparèrent de toi,
mais elle ne l'avait pas souhaité, pas même imaginé.
Aujourd'hui, elle est là, elle ne t'en veux pas
et sa flamme n'est pas complètement éteinte.
Rien n'est plus terrible qu'une vie qui s'écoule dans le regret.
Pars avec elle, je te le demande !
Et si une nouvelle fois, tu n'en as pas le courage, alors c'est moi qui partirai."
-Voilà les propos cruels que tu as tenus en décembre dernier.
J'ai obtempéré parce que je t'ai toujours obéi au doigt et à l'oeil, tu le sais.
Mais ton analyse était fausse, totalement.
Je t'en reparlerai bientôt, promis.
Les jours suivants, Sylvie n'eut plus besoin de questionner son époux
pour en savoir davantage.
Paul parla de ses six mois passés à La Réunion presque tous les jours.
L’amour sans sexe ne conduit pas à la démence.
Virginie n'a plus aucune pulsion sexuelle, j'en suis certain,
je l'ai appris à mes dépens .
Peut-être même qu'elle n'en a jamais eu...
Mais elle n'est pas complètement folle.
Sa flamme, pour reprendre ton vocabulaire,
elle la réserve aux Flamboyants de sa propriété
dont elle fait très lentement le tour matin et soir.
-Je ne te crois pas, Paul, tu ne serais pas resté six mois dans ces conditions.
-Tu as parfaitement raison. Trois mois après mon arrivée,
je n'en pouvais plus de cette vie de dingue.
Et d'autant plus que Monica, la demi-trisomique, chevauchait Crin-pâle tous les matins sous ma fenêtre.
-Nue ?
-Totalement nue.
-Ah, je comprends maintenant que tu ne fus pas si pressé que cela d'écourter ton séjour.
-Non, non, tu n'as pas tous les éléments, c'est plus complexe que ce que tu imagines.
-Raconte, raconte, lapin !
-Essaie de te mettre à ma place. D'un côté, Virginie,
non seulement chaste, mais très distante sauf avec ses arbres et ses animaux de compagnie. Au fil des semaines, je lui parlais de moins en moins. D'autre part, sa fille balançant quotidiennement ses fesses nues sous ma fenêtre dans la chaleur tropicale.
Lors de mon premier séjour, on m'avait demandé de garder les volets clos, mais cette fois, en plein été, ce n'était pas possible.
Je devenais fou.
J'avais l'intention de t'écrire pour te faire part de mon intention de revenir à Gérardmer quand un événement très perturbant me paralysa.
Un matin, Monica frappa à la porte de ma chambre et hurla lorsque je la fis entrer:
"Crin-Pâle est malade et maman n'est pas là ! "
-Où est le problème ?
-Juste un détail que tu n'as pas imaginé :
Elle s'apprêtait à faire sa promenade matinale, elle était donc complètement dévêtue.
-Et tu lui as sauté dessus, je suppose ?
-Non, je suis resté immobile pendant plus de trente secondes, libération trop violente d'oxyde nitrique ou choc psychologique, je ne sais pas, je n'étais même plus capable de parler.
Quand j'ai retrouvé ma lucidité , je l'ai mise vertement à la porte et je suis resté enfermé dans la chambre jusqu'au retour de sa mère.
-Mais tu fus très perturbé et tu avais absolument besoin d'en savoir plus.
-Exactement, tu me connais bien, j'ai effectivement enquêté.
-Et ton investigation a duré trois mois ?
-Oui, cela fut très long et douloureux,
il m'a fallu gagner la complicité de Louise, la gouvernante, afin qu'elle s'abandonne à quelques confidences.
-Et ?
-Eh bien, c'est pire que ce que je soupçonnais.
Louise, qui connaît sa patronne depuis plus de dix ans, est catégorique :
"Virginie est devenue une femme méprisable, dure, inhumaine, matérialiste,
incapable de la mondre affection, du moindre attachement pour quelqu'un.
Quant à sa fille, c'est une psychopathe."
Et effectivement, ces derniers temps,
Virginie me parlait de façon de pus en plus autoritaire.
Depuis que j'avais sympathisé avec Louise,
elle m'avait relégué au rang de domestique.
Jamais je n'aurais imaginé un tel changement de comportement .
La jeune et jolie fille fragile et émouvante
qui m'avait déposé un déchirant mot d'amour
sous la selle de ma moto il y a quarante ans,
était devenue une femme distante, méprisante à mon égard.
Quel naufrage et quelle désillusion !
" Souviens-toi d’oublier "
Je vais relire Nietzsche, et dorénavant, suivre ses conseils.
Je sais maintenant que l'oubli est une condition sine qua non du bonheur.
En m'ordonnant d'aller rejoindre cette femme,
tu m'as infligé, Sylvie, un châtiment cruel....
Mais tu m'auras aussi permis d'avoir de nouveaux yeux.