Paul et Vanessa. Chapitre XV. Retour à Gérardmer.

 Retour dans les Vosges, au domicile conjugal. Sylvie est là et semble très calme. Un petit reproche toutefois :

Tu ne m'as pas beaucoup parlé quand tu m'as appelé. 

-C'est vrai, mais ce que j'ai vu n'est pas facile à raconter au téléphone. 

-Ah bon, et qu'as-tu vu, Paul?

-Plus tard, plus tard, c'est un peu lourd, chevalin, complexe, mais tu sauras, tu sais bien que je ne te cache jamais rien, ou si peu.

-D'accord, tu recommences avec tes énigmes, faire le désir de l'attente, je suis habituée. 

-Le sujet est délicat et concerne une jeune fille, si tu veux en savoir plus, il serait sympa que tu t'abstiennes provisoirement de jouer avec les mots, Sylvie.

-Une jeune fille de cinquante cinq ans, je rêve ? 

-Non, rien à dire sur Virginie, elle est riche, libre et en parfaite santé, j'évoquais sa fille Monica, il me semblait t'en avoir parlé un peu au téléphone. 

-J'avais complètement oublié en effet, mais franchement, les états d'âme  de la fille d'une de tes élèves lors de ton début de carrière, je m'en fiche comme de colin-tampon. 

-Tu as parfaitement raison, je ne t'en parlerai plus.

Une semaine plus tard.

C'est lourd, chevalin, cela concerne Monica, c'est un sujet délicat: Tes propos de la semaine dernière - je les reprends mot à mot en résumant, sont incohérents. Paul, l'énigme est insoluble, je donne ma langue au chat, raconte.

-Je croyais que tu t'en fichais comme de ta première chemise ou de ton premier tampon, pour respecter les mots que tu as utilisés. 

-J'ai dit COLIN-tampon,  pas PREMIER tampon ! J'ai changé d'avis, cette lourdeur chevaline me turlupine.

- Je te donne un premier élément : Monica a un cheval, Crin-pâle, qu'elle monte tous les matins dans la propriété. 

- Et alors ?

-On m'a demandé de ne pas ouvrir les volets le matin.

-A cause de l'odeur, je suppose ?

-Non.

-Crin-pâle est un cheval craintif, il n'aurait pas supporté la vue d'un Vosgien, d'un Gérômois, à Saint-Gilles les hauts ?

-Non.

-Crin-pâle a une maladie de la robe, c'est très vilain à voir.

-Non.

-Je sèche. J'ai besoin d'un deuxième indice. S'il te plaît, Paul. 

-Le dernier élément, je le livre sous forme de contrepèterie, j’ai toujours éprouvé des difficultés à faire des confidences, le sujet est épineux, je ne peux m’exprimer crûment.

Les fêtes soutenues de Monica et concomitamment de Crin-pâle m’ont obligé à garder les volets clos tous les matins, pendant mon séjour à Saint-Gilles.

Sylvie, à l’esprit très vif, décrypta le message immédiatement.

"Nue et à cru sur son cheval ? Tu as dû te régaler, mon cochon !

-Volets CLOS ! tu ne me crois pas ? Cloîtré comme un moine, je trinquais seul en criant:

« A bon cru, belle coupe! « . Je me représentais mentalement la scène, je n’ai pas réussi à brider mon imagination, tu me le pardonnes ?

– Oui, mais j’ai des doutes. Tu es sûr qu’elle était nue?

– Non, puisque je ne l’ai pas vue, mais Virginie m’avait prévenu .

– Ce n’est donc qu’une hypothèse ou une hyppo-thèse si tu m’autorises ce mauvais jeu de mots. Peu me chaut, pour moi, cette thèse avec un équidé est, dans le meilleur des cas, tout à fait banale et superficielle. 

- Trois contrepèteries sur le sujet Monica, stop!

On passe à Virginie bientôt ?

- Oui, j'ai peu à dire sur Virginie, c'est une bourgeoise, en parfaite santé et qui semble très équilibrée .

-  Tu te moques de moi, c'est pour éclaircir le mystère Virginie que tu as parcouru vingt quatre mille kilomètres, il me semble!

-  Exact, mais je suis complètement rassuré, je ne me sens absolument plus coupable, au contraire, je suis fier de moi, j'ai pris la bonne décision en ne me rendant pas à son rendez-vous.

- Pendant quarante ans, cette histoire t'aurait miné, obsédé sans raison, donc.

- Je n'ai pas dit cela, mais je n'ai plus envie d'y penser, ni d'en parler, bon, d'accord je te fais un résumé .

Et Paul informa Sylvie du lourd passé psychologique de Virginie qui expliquait son comportement bizarre en classe et sa déclaration qui était davantage un cri de détresse, un appel au secours, qu'un aveu d'amour. 

Curieusement, Sylvie ne fut pas du tout sidérée en apprenant que Virginie avait été violée à quatorze ans par sa prof de français; à tel point que Paul, très intrigué, interrompit son récit pour l'interroger.

"Tu savais, toi, que les femmes étaient capables de violer ?

-Bien sûr, lapin; en matière de violence, sexuelle ou non, de sauvagerie, je fais peu de différences entre les hommes et les femmes. La folie n'a pas de genre.

"L'avenir de l'homme est la femme", la maxime peut sembler très belle ...

Qu'en penses-tu, Paul ?

« L’avenir de l’homme est la femme – Elle est la couleur de son âme – Elle est sa rumeur et son bruit – Et sans elle, il n’est qu’un blasphème. »

Rien que dans les quatre premiers vers, il y a deux références au sacré ou à la religion. Désolé Sylvie, je ne suis pas croyant, je ne débattrai donc pas de ce sujet. Et puis, je pense comme toi, ce distinguo homme-femme n'a plus beaucoup de sens dans nos sociétés où les femmes dont devenues les égales des hommes. Ces histoires d'emprise dont on nous rebat les oreilles tous les jours dans les média sont des balivernes. J'ai beaucoup apprécié ta réponse à ma question sur la capacité des femmes à exercer des violences sexuelles, sujet hélas encore tabou. Les femmes violent aussi, Virginie a été violée par une femme, j'en suis certain. Et Monica, sa fille, en subirait encore les conséquences. 

-Monica, sa fille, quarante ans après, j'ai bien entendu, Paul ?

-Je ne sais pas où est la vérité. Un psychiatre a convaincu Monica que pour un viol, le traumatisme psychologique peut parfois sauter une génération et se répliquer sur la fille de la victime. 

-Paul, tu délires à nouveau.

- Tu pourras essayer d'en savoir plus, si cela t'intéresse, quand elle viendra à  Gérardmer. 

- Elle vient à Gérardmer ? Merci pour l'info. C'est pas du pipeau ? Ach so !  Ach Monica !

- Sylvie, je t'en prie, pas de mauvais jeux de mots quand elle sera là .

- Et on peut savoir quand elle vient voir l'expert des Vosges ?

- Pas de contrepèteries non plus en sa présence, promis ?

Quand ? Quand tu voudras, Sylvie, c'est toi qui décides. Je ne souhaite pas t'imposer leur présence, je t'ai toujours laissé le choix dans la date, tu le sais bien. 

-Monica, elle vient avec son cheval, je suppose ?

-Non, les domestiques s'en occupent, elle peut se passer de Crin-pâle pour deux semaines. Des herbes des Vosges, l'air pur des Vosges, voilà ce qui l'attire.

-Elle n'a pas d'autres obligations à La Réunion ?

- Monica vient d'arrêter ses études, elle et Virginie sont donc libres toutes les deux .

- Trois femmes à la maison, tu n'as pas peur, lapin ?

- Pas si ce sont des biches ! Maison des biches, je suis décidé   ! 

Ne me dis pas que tu préfères que je tourne ma peine vers tes livres !

C'est un projet un peu fou et alors ? La trouille des fous, c'est du plaisir, je suis prêt à l'affronter. 

Six interversions non relevées, qu'arrive-t-il à Sylvie la calembourgeoise ?

Une semaine plus tard :

"Elles sont impatientes, elles souhaitent venir pour Noël, Sylvie. Elles sont lasses des pistes indigènes de La Réunion .

-Noël à Gérardmer avec deux Réunionnaises fortunées, pourquoi pas, je suis prête à me livrer à l’expérience .

-Il faut comprendre les Réunionnaises, elles souffrent tellement de la chaleur pendant l’été austral, elles veulent gémir de froid . Elles savent qu’ici, en hiver, les vents viennent battre les vitres et c’est justement ça qui les attire.

-Tu n’as pas peur de les décevoir, lapin ?

-Je compte sur ton aide, tu m’as dit que tu étais décidée, je sais bien que tu les guideras sur la piste, elles sont tellement féminines. Les fâcheux problèmes de maths ne t’ont jamais fait reculer donc j’ai confiance. 

Encore cinq calembours auxquels tu n’as pas réagi, toi qui étais naguère si vive pour jouer avec les mots, tu m’inquiètes Sylvie, c’est la venue des Réunionnaises qui te tracasse ?

-Le sujet me semble sérieux, Paul. Oui, j’ai un peu peur . Virginie s’ennuie à La Réunion depuis qu’elle est veuve, toi tu n'as pas su assumer pleinement ta cessation d’activité…. Ton projet, c’est éventuellement de vivre à trois, en « trouple », toi , Virginie et moi, c’est bien cela, Paul ?

-Pas du tout, mais quelle idée saugrenue, je les invite parce que Virginie elle-même a suggéré que nous lui rendions visite ensemble. Et Monica était tellement subjuguée quand je lui ai parlé des Vosges. Un trouple, comment as-tu pu imaginer une chose pareille ?

-Tout simplement parce que cela fait trente ans que tu me parles d’elle mais tu m’as complètement rassurée, je suis sotte.

-Ça va mieux, on peut donc reprendre les contrepèteries ?

-Oui, progressivement s’il te plaît, la générosité consiste parfois à savoir doser ses parts .

Un mois plus tard :

"Tu sais, Sylvie, j'ai repensé à ton idée de "ménage à trois" dont tu m'avais fait part il y a quelques semaines. J'ai lu le livre "The Ethical Slut ", sorte de bible des relations non monogames écrite par deux femmes .

- MON idée de "ménage à trois ", tu attaques fort ce matin, Paul !

- Laisse-moi t'expliquer : Ce livre affirme et démontre que c'est courageux de mener sa vie selon le principe radical que le sexe non exclusif est agréable et de choisir de le pratiquer d'une manière légale, éthique et ouverte plutôt qu'en trompant son partenaire.

- Cet argument de droit et d'éthique, c'est pour réintroduire Virginie je suppose ?

- Pas du tout, mais ta réplique est vraiment très belle, magnifique, Sylvie.

Quelques semaines plus tard:

"Paul, il faut qu'on se parle. J'ai lu ton livre "La Salope Éthique "

-Intéressant concept, non ?

-Apologie du « polyamour ». sans pour autant invalider la monogamie, tu comprendras facilement que cela puisse faire tiquer la logique et rationnelle petite personne que je suis. Et puis "salope abstinente" qui ne serait pas un oxymore, au prétexte que fidélité signifierait avant tout respect des engagements pris, non, Paul, c'est trop perché, trop intellectuel pour moi, je n'adhère pas. 

-Qui t'a demandé d'adhérer ?

-De telles lectures quelques mois avant la venue des Réunionnaises ! Ton prochain livre, c'est "Ode à trois",  "Trio vosgien"  ? Tu crois que je ne te vois pas venir, avec tes gros sabots ?

-Sylvie, tu te méprends, tu t’égares et par conséquent tu m’obliges, contre mon gré, à parler une fois de plus du passé pour te remettre dans le droit chemin :Il y a quarante ans, Virginie n’avait  pas quinze ans. A quatorze ans, on est personne, on est rien. Virginie, qui avait subi un an auparavant des violences sexuelles sévères de la part d’une femme, était encore moins que cela. Moi, Paul, au lycée de Curepipe, j’étais très connu et respecté de tous. La notoriété attire, en général. Dans le cas particulier de Virginie perdue dans ce petit monde du lycée La Bourdonnais, j’étais une star, presque un demi-dieu, j’exerçais, sans que je le veuille, une fascination de réalisateur de cinéma (méritée, mes cours étaient des films) en outre, la chaleur du timbre de ma voix la subjuguait, l'hypnotisait, elle me l'a dit.Voilà pourquoi elle s’est offerte à moi. C’est presque banal. Ce qui l’est moins, c’est mon absence de réponse. Mais aujourd’hui, les données sont complètement différentes, presque inversées.Virginie est une femme cultivée, équilibrée et encore jeune ; en outre, elle a épousé un descendant d’une des familles les plus fortunées de La Réunion. Elle est riche. Que peut peser le septuagénaire que je suis avec sa misérable retraite d’agrégé ? Rien, nada.Tu n’as rien à craindre, tu te fourvoies, il n’y aura pas d’ode à trois, sous le sapin de Noël à Gérardmer.Tu es déçue, Sylvie ?

Je conteste ton analyse, Paul. Je suis dans l'expectative.

-L'attente a des plaisirs qu'on ne fait qu'un moment, Sylvie.

-Non, s'il te plaît, pas de contrepèteries, le sujet est trop grave. Je te trouve bien sûr de toi, s'agissant des intentions de Virginie. Tes arguments ne m'ont pas convaincue du tout. Qu'elle soit riche n'a strictement aucune importance.  Moi, ce que je retiens, c'est qu'une femme qui t'a écrit "I love you" il y a quarante ans, fait douze mille kilomètres pour venir passer Noël auprès de toi. C'est beau, c'est rare. Bien plus romantique que les théories fumeuses, invraisemblales, que j'ai pu lire dans "La Salope Ethique", ton livre de chevet. Suis-je déçue  ? Que nenni. Pis et pis encore, je suis ravie et j'ai vraiment hâte de faire la connaissance de Virginie. Tu es satisfait de ma réponse, lapin ?

-Pleinement satisfait. J’ai bien noté que tu étais ravie de rencontrer Virginie.Tu penses que Virginie vient sans intentions coquines, tu es donc d’accord avec moi sur l’essentiel. Elle ne vient même pas pour me voir, elle vient d’abord à la demande de Monica, qui rêve de découvrir les sentiers de randonnée pittoresques des Vosges, elle a lu que le lac de Gérardmer, entouré d’une forêt luxuriante, était un paradis pour les amateurs de plein air. Je ne sais plus si je te l’ai raconté, j’ai parlé à Monica de la rando  " Le Saut de la Bourrique " Monica m’a écouté religieusement, avec un sourire béat d’admiration pendant le récit de la légende de la bourrique. Rien de romantique donc dans la venue de Virginie, cet épisode n’est même pas romanesque. Ce Noël sera chaleureux, convivial, sans plus.

Posts les plus consultés de ce blog

Paul et Vanessa . Chapitre XVII. Dénouement .